Bovarysme : quand l'imaginaire déborde le réel, une lecture psychanalytique
- pascaleraouxpsycha
- il y a 4 jours
- 3 min de lecture

Qu’est-ce que le bovarysme en psychanalyse ?
Le bovarysme, concept forgé par Jules de Gaultier à partir du personnage d’Emma Bovary, désigne la tendance à se rêver autre que soi.
En psychanalyse, ce mécanisme éclaire la manière dont certains sujets utilisent l’imaginaire pour échapper au réel, pour s’idéaliser ou pour éviter des tensions internes.
Cette dynamique, bien plus fréquente qu’on ne l’imagine, interroge le rapport entre :
le moi idéal
le désir
les mécanismes inconscients
la difficulté à consentir à la réalité
Bovarysme et imaginaire : entre fuite et création
Le bovarysme peut être compris comme un mouvement oscillant entre évasion et élan créatif.
Il s’exprime notamment à travers :
des scénarios intérieurs très romanesques
une quête d’intensité ou de passion
une idéalisation permanente de soi
un rejet du quotidien, vécu comme trop banal ou étroit
Derrière ces rêveries se cache souvent une tentative de compenser une frustration ou de protéger un narcissisme vulnérable.
Le regard psychanalytique : l’emprise du moi idéal
Freud et les auteurs post-freudiens ont largement décrit la manière dont le moi idéal peut exercer une pression considérable sur le sujet.
Dans le bovarysme, cette instance imaginaire devient parfois si exigeante qu’elle dévalorise tout ce qui appartient au réel.
Le sujet se trouve alors pris dans un écart douloureux :
entre ce qu’il vit réellement
ce qu’il fantasme devoir être.
Ce mécanisme s’accompagne souvent d'un processus de rêverie dans la journée, de sentiments d’insuffisance, de honte, ou d’une impression persistante de « ne pas être à la hauteur ».
Emma Bovary : un archétype de l’insatisfaction
Le roman de Flaubert offre une illustration emblématique du bovarysme.Emma Bovary refuse un réel qu’elle juge insuffisant, et s’invente une vie intérieure saturée d’attentes romantiques, d’idéaux amoureux et d’images grandioses.
Cette figure littéraire met en lumière une question centrale en psychanalyse :
que cherchons-nous lorsque nous rêvons une version idéalisée de nous-mêmes ?
Cas cliniques : quand le bovarysme structure la vie psychique
Les vignettes suivantes sont entièrement fictives et visent à illustrer la diversité des formes prises par le bovarysme en psychanalyse.
Claire, 32 ans — La vie rêvée comme étalon de mesure
Claire, qui est souvent "ailleurs", dit “avoir tout pour être heureuse”, mais se sent constamment insatisfaite.Elle entretient des scénarios intérieurs spectaculaires : amours passionnels, carrière brillante, vie exaltée.Face à ces représentations idéalisées, sa réalité lui semble fade.
Son bovarysme lui sert à :
protéger une fragilité narcissique
éviter le risque de l’échec réel
maintenir une excitation psychique
masquer une difficulté à entendre ses désirs authentiques
Le travail analytique l’aide à reconnaître que son imaginaire cherche avant tout une confirmation de valeur, plus qu’une existence spectaculaire.
Antoine, 41 ans — Le fantasme de la “grande œuvre”
Antoine , qui paraît souvent "absent", se rêve écrivain depuis l’adolescence. Il s’imagine produisant un roman majeur, mais n’écrit presque rien.Son bovarysme s’organise autour d’un fantasme artistique idéalisé qui lui évite d’affronter une peur profonde : celle de ne pas être “suffisamment bon”.
Le fantasme :
soutient une identité valorisante
protège de la médiocrité redoutée
prolonge l’admiration paternelle pour les « grands hommes »
empêche de reconnaître des désirs plus personnels, moins “grandioses”
En analyse, Antoine découvre que son imaginaire peut devenir une ressource, non plus pour fuir le réel, mais pour explorer ce qui l’anime réellement.
Entre désir, manque et réalité
Le bovarysme permet de comprendre comment certains sujets utilisent l’imaginaire pour se protéger, se réinventer ou contourner des conflits internes.L’enjeu en psychanalyse n’est pas de supprimer ces rêveries, mais de les rendre habitables : les faire passer d’un refuge qui détourne du réel à un espace d’élaboration qui éclaire le désir.
En redonnant au sujet l’accès à son imaginaire, sans en être prisonnier, le travail analytique permet de retrouver un rapport plus souple, plus vivant, à soi et au monde.