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Pascale Raoux

Membre de la Société Française de Psychanalyse Appliquée​​

Psychanalyse et Psychothérapie​

Cabinet et téléconsultations

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Le chirurgien-dentiste sous le regard de la psychanalyse

Dans l’imaginaire collectif, peu de figures professionnelles suscitent autant d’angoisse mêlée de respect que celle du chirurgien-dentiste. Entre douleur redoutée, bouche grande ouverte et instruments intrusifs, la relation au dentiste active, parfois à notre insu, des mécanismes inconscients puissants. Que peut nous apprendre la psychanalyse sur la place symbolique du dentiste ? Et que vit, de son côté, celui ou celle qui exerce ce métier à la fois technique, intime et chargé de projections ?


Une figure qui convoque l’angoisse

Il n’est pas rare que l’on repousse un rendez-vous chez le dentiste sans trop savoir pourquoi. Pourtant, ce professionnel soigne, soulage, répare. Mais son domaine d’intervention — la bouche — est une zone hautement symbolique en psychanalyse. Elle est à la fois lieu de parole, d’expression, de séduction, d’alimentation… et aussi de refoulement et de non-dit.

Le chirurgien-dentiste agit dans un espace chargé d’affects archaïques : il touche à la sphère orale, première zone érogène décrite par Freud. La bouche est associée aux premières expériences de satisfaction (tétée, succion), mais aussi aux frustrations. Elle est au cœur de la relation primitive à la mère. Le simple fait d’y introduire des instruments, de la forcer à s’ouvrir, ravive inconsciemment ces premières expériences de dépendance et de perte de contrôle.

L’interdiction de parler : un silence contraint

Un fait frappant dans la relation au dentiste est que le patient ne peut pas parler pendant les soins. Cette impossibilité, bien qu’évidente sur le plan pratique, a une portée symbolique forte.

Privé de la parole, le patient perd temporairement sa capacité à protester, à poser des limites, à négocier. Ce silence imposé peut raviver des souvenirs enfouis où la parole était absente ou inefficace : des vécus d’impuissance, de contrainte ou de soumission. Cela renforce le sentiment de passivité et peut parfois réactiver des angoisses précoces liées à la perte de contrôle ou à la dépossession de soi.

En psychanalyse, la parole est un vecteur de subjectivation. La supprimer, même momentanément, c’est suspendre ce lien au Je. Ce silence imposé peut être vécu comme une mise en retrait de la subjectivité, parfois insupportable pour certains patients.

Le chirurgien-dentiste devient alors celui à qui l’on ne peut pas répondre, celui qui agit pendant que l’on se tait — une figure potentiellement intrusive ou toute-puissante dans la psyché du patient.

Le dentiste, un objet de transfert

Dans le fauteuil, le patient est en position passive, souvent anxieuse, parfois même régressive. Cette posture réactive des mouvements de transfert : le dentiste peut être inconsciemment perçu comme un parent, un intrus, un sauveur… voire un bourreau. Certaines personnes redoutent le jugement qu’elles prêtent à leur dentiste (sur leur hygiène, leur apparence, leur peur elle-même), nourrissant un sentiment de honte ou d’exposition.

La relation dentiste-patient peut ainsi raviver de vieux scénarios psychiques où s’entremêlent silence imposé, attente de soulagement, et crainte d’être envahi.

Et du côté du praticien ?

Être chirurgien-dentiste, c’est aussi évoluer dans une position ambivalente : à la fois indispensable et redouté. L’accueil de l’anxiété du patient, sa résistance, ses régressions parfois massives, tout cela sollicite chez le praticien une fonction contenante, proche de celle du thérapeute.

De plus, le chirurgien-dentiste exerce un métier de précision, sous tension constante, avec une très grande responsabilité. Le lien entre mains, regard, et bouche du patient installe une proximité corporelle qui peut parfois être difficile à gérer. Le praticien peut être confronté à des projections puissantes — positives (idéalisations) ou négatives (agressivité, plaintes, peurs) — qui le sollicitent émotionnellement. L’épuisement empathique n’est pas rare, surtout s’il n’est pas reconnu.

Certains praticiens peuvent développer, de façon défensive, une forme de carapace relationnelle : froideur, humour cynique, distance. Cela peut être interprété comme un manque d’humanité, alors qu’il s’agit souvent d’une tentative inconsciente de se protéger d’un trop-plein d’affects.

Quand la psychanalyse devient ressource

La psychanalyse peut offrir un espace de réflexion précieux pour les chirurgiens-dentistes, en les aidant à mettre en mots ce qui se rejoue dans la relation au patient. Mieux comprendre ce que l’on mobilise malgré soi — ou ce qui nous bouscule dans certains types de personnalités — permet d’éviter l’usure, mais aussi d’améliorer la qualité de la rencontre soignante.

Pour les patients aussi, nommer ce que suscite la rencontre avec le dentiste peut permettre de dissiper certaines angoisses. Parfois, la peur du dentiste n’est pas seulement une peur du soin, mais une peur de se livrer, de ne plus contrôler son image, son corps, ou ses affects.


Le chirurgien-dentiste n’est pas seulement un technicien du soin dentaire. Il est aussi, bien malgré lui parfois, un acteur de la scène psychique du patient. À la croisée du corps et de la parole — justement suspendue — du soin et de l’intime, sa place mérite d’être pensée sous l’angle psychanalytique, pour mieux saisir ce qui, dans cette relation si particulière, touche au plus profond de notre histoire psychique.




 
 
 

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